1899. Péguy publie un recueil de textes de Jaurès intitulé « Action socialiste »
Jaurès écrit un court avant-propos :
« De jeunes amis m’ont demandé la permission de réunir, en un ou plusieurs volumes, un choix de mes articles et discours. Un moment, j’ai hésité. Je craignais qu’on ne vît là une sorte de préoccupation littéraire peu convenable à un militant. Et puis, nous avons devant nous tant de travail, nous avons si peu fait, qu’il me paraissait dangereux de se retourner vers le passé. À quoi bon lier ces pauvres gerbes quand la moisson commence à peine ? — Mais ces jeunes gens m’ont dit que publier un volume de propagande, comme on publierait une brochure de propagande, c’était encore agir, et je me suis rendu de bon cœur à leur vœu.
Ce sont eux qui ont fait tout le travail, le choix et le classement. Je ne sais même pas, en écrivant cet avant-propos, quels sont les morceaux contenus dans ce volume. Mais ce que je sais bien, c’est que, quelle qu’en soit la date, on y retrouvera la même inspiration socialiste. Dès que j’ai commencé à écrire dans les journaux et à parler à la Chambre, dès 1886, le socialisme me possédait tout entier, et j’en faisais profession. Je ne dis point cela pour combattre la légende qui fait de moi un centre-gauche converti, mais simplement parce que c’est la vérité.
Mais il est vrai aussi que j’ai adhéré à l’idée socialiste et collectiviste avant d’adhérer au parti socialiste. Je m’imaginais que tous les républicains, en poussant à bout l’idée de République, devaient venir au socialisme. Et il me paraissait plus sage de ne pas créer un groupement socialiste distinct. C’était une illusion enfantine, et, ce que la vie m’a révélé, ce n’est point l’idée socialiste, c’est la nécessité du combat. Si les pages qui suivent pouvaient aider les hommes de pensée à devenir des hommes de combat, et à comprendre que la vérité, pour être toute la vérité, doit s’armer en bataille, les jeunes gens désintéressés et dévoués qui ont pris l’initiative de cette publication seraient bien payés de leur peine. »
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« Aider les hommes de pensée à devenir des hommes de combat… ». On trouve un bel écho de cette phrase dans l’Histoire socialiste de la Révolution Française, où Jaurès écrit :
“On a beau regarder les événements du point de vue de l’histoire, il est impossible de développer ce grand drame sans s’y mêler. On va réveillant les morts, et à peine réveillés, ils vous imposent la loi de la vie, la loi étroite du choix, de la préférence, du combat, du parti-pris, de l’âpre et nécessaire exclusion. Avec qui es-tu ? Avec qui viens-tu combattre et contre qui ?”
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Quelques années après, en 1902, Péguy, dans un de ses Cahiers de la Quinzaine, reparlera de cette publication et du Jaurès d’alors, et écrira :
« Quand j’éditai, en 1899, ces anciens articles, je ne pensais pas, je ne voulais pas présenter au monde une exposition statique du socialisme livresque définitif. Je voulais présenter à ceux qui cherchent, aux hommes sincères et de bonne volonté, un exemple de la droite route qui du républicanisme ordinaire conduit au socialisme, et puisque l’on veut les opposer, au lieu de les distinguer simplement, un exemple de la droite route continue qui de la sincère démocratie républicaine conduit à un socialisme sincère. Il est facile à ceux qui trouvent aisément dans les théories des solutions parfaites aux difficultés théoriques de mépriser ceux qui cherchent péniblement dans la réalité des solutions réelles aux difficultés réelles. Je persiste à penser que dans ce pays nous avons le plus grave intérêt à savoir par quelle voie de progression régulière un véritable républicain s’achemine au socialisme. Et je persiste à penser que Jaurès eut à cet égard un acheminement exemplaire. L’Action socialiste n’est pas une section statique du socialisme ; elle est vraiment le dessin, l’exemple d’un avènement honnête au socialisme, avènement éminent par le génie de celui qui advenait, avènement ordinaire, moyen, et ainsi exemplaire, par le sens, par le parcours, par les étapes, et par toute la marche de celui qui advenait. »