En 1905, la guerre russo-japonaise conduit certains à invoquer un « patriotisme européen ». Dans un article de l’Humanité titré « Civilisation », le 10 mars 1905, Jaurès réagit :
Mais dans l’enthousiasme de cette croisade sinistre et sauvage des blancs contre les jaunes, M. Judet va jusqu’à oublier l’étroitesse de son patriotisme français d’hier. C’est un «patriotisme européen» qu’il veut opposer au «patriotisme asiatique».
Admirable avènement de l’Europe ! Tant qu’il a fallu faire œuvre de civilisation, de travail, de vie, elle a été incapable de s’unir. Elle a été déchirée par les conflits de ses nationalités. Elle va s’unir maintenant pour piétiner, pour égorger ces races du Japon et de la Chine qui élèvent enfin la prétention de vivre. Patriotisme européen : c’est par l’oppression et le meurtre qu’il s’affirmera. M. Judet et ses amis oublient qu’ils dénonçaient hier à la France l’Angleterre et l’Allemagne ; tous les griefs s’évanouissent et la France renonce sans doute à des revendications «imprescriptibles» si seulement l’Allemagne et l’Angleterre consentent à s’unir à nous pour frapper les jaunes.
Après tout, c’est logique. Le patriotisme, pour ces hommes, consiste à haïr, à meurtrir ; ils seront donc d’autant plus patriotes qu’ils ouvriront un plus vaste champ de haine et de meurtre. Les cinq cent millions de jaunes offrent à ce patriotisme de violence, d’oppression et de tuerie, une matière admirable, et qui ne saurait être égalée dans les modestes égorgements intra-européens. L’heure est donc venue d’abandonner le patriotisme antianglais et antiallemand qui ne prêtait qu’à de pauvres petites effusions de sang et de haine, pour le vaste patriotisme antiasiatique qui pourra se régaler de plus amples sauvageries.
Patriotisme européen : l’idée que ces hommes ont de la patrie est telle qu’ils n’élargissent leur patriotisme que pour mieux élargir leur barbarie.