Quand Péguy prônait la désobéissance (1901)

En 1901, dans Pour moi (IIe série, IIIe Cahier de la Quinzaine), quelques propos sur l’obéissance et la désobéissance du futur lieutenant Péguy :

La discipline faisant la force principale des armées, il importe que tout inférieur obéisse exactement, sans hésitation ni murmure. Je désobéirai si la justice et la liberté le veut. Je suis réserviste. Si demain matin je recevais ma feuille de route pour aller en Chine, sachant comme je le sais ce que les internationaux sont allés faire en Chine (1), je refuserais le service militaire, je déserterais. Je suis réserviste. Si demain matin je recevais ma feuille de route pour aller à Calais, sachant comme je le sais ce que les bourgeois font à nos amis ouvriers, je refuserais le service militaire, je déserterais.

(1) Péguy parle ici de la révolte des Boxers qui conduisit à l’envoi d’une armée internationale en Chine.

Dans l’Histoire socialiste, dirigée par Jaurès, John Labusquière évoque une intervention de Marcel Sembat, à la Chambre, au sujet de cette révolte :

Mais il importait aussi de rechercher quelles causes avaient provoqué cette explosion de colère, ce soulèvement contre les étrangers. Il n’y fallait pas voir seulement un mouvement de haine irraisonnée contre la civilisation occidentale, mais bien contre les procédés employés pour la faire pénétrer en Chine. Ce que les missionnaires avaient commencé, en froissant les Célestes dans leurs croyances séculaires, les spéculateurs occidentaux l’avaient complété par leurs tentatives économiques non entreprises dans un but civilisateur, mais dans un but de lucre. La perpétuelle ingérence des puissances européennes et américaine dans la politique chinoise en vue d’obtenir, d’arracher des concessions et des privilèges était une source d’excitation. Les puissances étrangères récoltaient les fruits amers de la conduite de leurs nationaux avides. Et il demandait au Gouvernement, une fois les légations mises hors de péril, le calme rétabli, de respecter la « nationalité chinoise » et de ne pas exiger la continuation d’entreprises qui pourraient provoquer de nouvelles colères parmi les habitants du vaste empire.

Jaurès s’exprimera à de nombreuses reprises sur cette « guerre des boxers » impérialiste et sur les risques qu’elle fait courir à la Paix mondiale. Il en reparlera également en 1905 quand de nouveau l’Asie fera parler d’elle à travers la guerre russo-japonaise… Voir par exemple ce texte sur le « patriotisme européen ».

Dans le De la raison (1901), Péguy revient sur la question de l’obéissance :

En particulier la raison ne procède pas de l’autorité militaire. Elle ignore totalement l’obéissance passive. C’est trahir la raison que de vouloir assurer la victoire de la raison par la discipline qui fait la force principale des armées. C’est faire déraisonner la raison que de l’enseigner par les moyens militaires. La raison ne demande pas, n’accepte pas l’obéissance. On ne commande pas au nom de la raison comme on commande à la manœuvre. Il n’y a aucune armée de la raison, aucuns soldats de la raison, et surtout il n’y a aucuns chefs de la raison. Il n’y a même, à parler proprement, aucune guerre de la raison, aucune campagne, aucune expédition

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