Le 29 juillet 1914, réunion exceptionnelle, à Bruxelles, du Bureau Socialiste International. Le soir, au Cirque Royal, Jaurès prononce ce qui sera son dernier discours avant son assassinat – un discours qui se veut résolument optimiste, et qui affirme aussi pour tenter de rendre réelles les conséquences d’une telle affirmation… que le gouvernement français fait ce qu’il peut pour la paix…
Nous ne possédons pas le texte de ce discours. Mais plusieurs sources permettent de savoir à peu près ce qu’il fut. Ci-dessous, le témoignage de Charles Rappoport. On trouvera aussi :
– ici, sur le site « dormira jamais », une reconstitution du discours par Jean Stengers http://dormirajamais.org/jaures-1/
– en complément, un article sur le BSI et les liens entre Jaurès et Emile Vendervelde, président de la deuxième Internationale socialiste de 1900 à 1918.
Extrait de Charles Rappoport, Jean Jaurès, 1915 :
« Le 28 juillet Jaurès alla, en compagnie de Vaillant, Sembat, Guesde et Jean Longuet, à Bruxelles, pour assister, le 29, à un effort suprême de l’Internationale pour sauver la paix. Au Cirque Royal de Bruxelles, il prononça son dernier discours, qui littéralement souleva l’auditoire, composé de milliers de personnes appartenant à toutes les classes de la société. Voici quelques passages essentiels de son chant du cygne pour la paix du monde (d’après l’Humanité, le compte rendu du Peuple de Bruxelles et d’après mes souvenirs personnels) :
« Et l’Allemagne ? Si elle a connu la note austro-hongroise, elle est inexcusable d’avoir permis une pareille démarche. Et si l’Allemagne officielle n’a pas connu la note autrichienne, quelle est sa sagesse gouvernementale ? Quoi ? Vous avez un contrat qui vous lie et qui vous entraîne à la guerre et vous ne savez pas ce qui va vous y entraîner ! Je demande quel peuple a donné un exemple pareil d’anarchie ! (Applaudissements.)
Cependant, les dirigeants hésitent. Profitons-en pour nous organiser. Nous, socialistes français, notre devoir est simple. Nous n’avons pas à imposer à notre gouvernement une politique de paix. Il la pratique. Moi, qui n’ai jamais hésité à assumer sur ma tête la haine de nos chauvins par ma volonté obstinée, et qui ne faillira jamais, d’un rapprochement franco-allemand, j’ai le droit de dire que le gouvernement français veut la paix. » (Ovation.)
En parlant des menaces de la guerre, Jaurès dit : « Attila est au bord de l’abîme, mais son cheval trébuche et hésite encore ».
S’opposant, comme il le fit toute sa vie, à ce que la France se soumît à un rôle subalterne, il dit textuellement : « Si l’on fait appel à un traité secret avec la Russie, nous en appellerons au traité public avec l’Humanité ».
Et il termina son discours, le meilleur de sa vie (1) par des paroles prophétiques dont voici le texte quasi littéral : « Au début de la guerre, tout le monde sera entraîné. Mais lorsque les conséquences et les désastres se développeront, les peuples diront aux responsables : « Allez-vous en et que Dieu vous pardonne ».
(1) Une preuve de sa vigueur intellectuelle. La veille, il avait fait un vovage fatigant de Paris à Bruxelles. Toute la journée du 29 juillet, il travaille à la Maison du Peuple avec les membres du Bureau Socialiste International. Après la réunion, il écrit un article pour l’Humanité. Ayant à peine avalé un morceau, il part pour le meeting en me disant : « J’ai une migraine terrible. » Malgré ces fatigues, il écoute et souligne de ses interruptions spirituelles tous les discours des orateurs internationaux. Et il prononce à la fin un formidable discours de trois quarts d’heure…