Face à la guerre, la grève générale… (Jaurès, 18 juillet 1914)

A Paris, les 15 et 16 juillet 1914, la SFIO se réunit dans un congrès extraordinaire pour adopter une ligne politique claire par rapport aux menaces de guerre.
Jaurès y défend l’idée de la grève générale, en précisant qu’elle doit évidemment être simultanée dans tous les pays, rassembler tous les peuples, et que son objectif premier est d’imposer un arbitrage international pour prévenir le conflit et garantir la paix.

Une partie de la presse française déforme aussitôt les conclusions du Congrès en accusant le parti socialiste de jouer le jeu de l’Allemagne.

Le 18 juillet, dans l’Humanité, sous le titre « Les Furieux », Jaurès répond…

« Les Débats et le Temps ne parlent pas sur le même ton de la motion de notre Congrès socialiste contre la guerre. Les Débats la raillent assez doucement comme « enfantine et platonique » attendu qu’il n’y a, suivant eux, aucune possibilité d’organiser d’un pays à l’autre, dans les périodes de difficultés internationales, cette action « simultanée » que prévoit la résolution. Le Temps au contraire s’abandonne contre nous à ses coutumières fureurs. Mais, par une étrange mauvaise fortune, pour s’indigner contre la motion, il commence par supposer qu’elle est tout autre qu’elle n’est en réalité. Il prend pour établi que la grève générale ne sera pas simultanée dans les deux pays menacés d’un conflit. Il suppose, contrairement à la motion elle-même, que l’action du prolétariat contre la guerre ne se produira que d’un côté.

Ce qu’il y a de très remarquable, c’est qu’aucun de ceux qui combattent notre motion ou même qui l’injurient ne se risque à la déclarer mauvaise. Leur seul grief contre elle, c’est d’après eux, qu’elle n’est pas praticable. Il résulte de leurs paroles mêmes que s’ils croyaient possible l’action qu’elle prévoit, ils s’en réjouiraient. Et comment ne se réjouiraient-ils pas, en effet, qu’avant que deux grands pays soient jetés l’un contre l’autre, les prolétaires s’accordent des deux côtés de la frontière pour opposer à la menace de guerre la même résistance. La catastrophe d’une guerre mettant aux prises des millions d’hommes serait si effroyable que l’humanité tout entière doit être reconnaissante au prolétariat de se liguer contre le péril.

Si, conformément à la motion, les prolétaires s’accordent, dans les pays sur lesquels se projette l’ombre du conflit, pour imposer aux gouvernements le recours à l’arbitrage, ils rendent à l’humanité, la paix, à l’équité et à l’indépendance même des nations un tel service qu’il n’y a pas d’homme digne de ce nom qui ne doive les applaudir et les encourager. Pourquoi le Temps dans sa diatribe oublie-t-il de rappeler que cette grève générale simultanée a pour objet essentiel de substituer l’arbitrage à la guerre ? Quand la motion prévoit que la grève générale préventive, s’exerçant contre une menace de guerre, sera « organisée simultanément et internationalement », elle répond à un double souci : Elle accroît les chances de paix et elle préserve les nations les plus généreuses, les plus audacieusement humaines, d’une action inorganique et unilatérale qui pourrait affaiblir leurs moyens de défense. Ou la grève générale sera concertée et bilatérale, ou elle ne sera pas.

Manuscrit_1914_Greve

Manuscrit de Jaurès au moment du Congrès socialiste de 1914

Si l’on pouvait discuter ces grands problèmes vitaux avec le Temps qui ne cherche, dans ses fureurs calculées, que la plus grossière exploitation politique des questions les plus poignantes, je lui dirais que la motion confère une prime morale immense, dans les litiges internationaux, au pays qui acceptera l’arbitrage, à celui qui noblement saura l’offrir. Pourquoi ne conseille-t-il pas à la France de s’assurer cette prime ?
Qu’on dise donc, si l’on veut, que nous avons fait un rêve ; qu’on dise que la classe ouvrière n’est nulle part assez puissamment organisée pour assumer ce rôle magnifique ; qu’on dise que nous présumons trop des forces actuelles de l’Internationale, de sa puissance de coordination et de direction. Nous ne sommes pas des fanfarons et nous savons que la tâche est formidable, qu’elle réclame du prolétariat européen autant de résolution que de clairvoyance. Mais nous savons aussi que ce prolétariat européen grandit tous les jours en organisation et en cohésion, que l’Internationale accroît tous les jours son autorité, qu’elle étend et assure ses prises morales sur les diverses fractions nationales de la classe ouvrière européenne. Nous disons que la sublime fonction de gardienne de la civilisation et de la paix que le socialisme lui assigne aura pour effet précisément de stimuler son effort de groupement, et que, quand son objet sera bien compris, elle verra s’unir à elle, dans sa volonté d’arbitrage, toutes les consciences honnêtes.

Si une propagande prolongée est nécessaire pour faire accepter l’idée et pour la rendre pleinement réalisable, notre Parti a assez de persévérance et assez de foi pour mener à bien son œuvre. Et la première condition de succès, c’est de marquer nettement le but.

Quoi qu’en disent nos adversaires, il n’y a aucune contradiction à faire l’effort maximum pour assurer la paix, et, si la guerre éclate malgré nous, à faire l’effort maximum pour assurer, dans l’horrible tourmente, l’indépendance et l’intégrité de la nation. Tant pis pour ceux qui ne croiraient pas à la possibilité de combiner cette double action. Ils se condamneraient eux-mêmes à désespérer ou de la race humaine ou de la patrie. En fait, ces deux idées également nécessaires s’affirment avec une netteté et une force croissantes dans l’Internationale. Et le mouvement en ce sens ira, à travers tous les obstacles se précisant et s’accentuant.

Au fond, le Temps cherche à créer une fois de plus l’équivoque et le trouve pour reprendre une opération politique qui a échoué. Il veut faire peur aux radicaux, renflouer la Fédération des gauches, prendre sa revanche du vote récent de l’impôt sur le revenu, détourner l’attention du pays des prodiges de désorganisation militaire où tant de hautes responsabilités sont engagées. Ses équivoques calculées, ses indignations affectées n’ont pas d’autre but. Elles préparent un renouvellement d’intrigue réactionnaire, et elles attestent un furieux dépit. Et dans cet accès simulé de délire patriotique, c’est une écume de colère, de haine et de réaction qui est sur ses lèvres.  »

 

Huma_18-07-1914

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