L'éducation, un acte de foi en l'autonomie et en la raison (1910)

Janvier 1910. Jaurès intervient plusieurs fois à la Chambre, notamment sur la question de la laïcité et de l’enseignement. Aussitôt publiées sous le titre « Pour la laïque », ces interventions figurent parmi les textes les plus célèbres de Jaurès. Ici, un extrait sur les liens entre éducation, autonomie et raison.

Messieurs, on n’enseigne pas ce que l’on veut ; je dirai même que l’on n’enseigne pas ce que l’on sait ou ce que l’on croit savoir : on n’enseigne et on ne peut enseigner que ce que l’on est. J’accepte une parole qui a été dite tout à l’heure, c’est que l’éducation est, en un sens, une génération.

Je n’entends point par là que l’éducateur s’efforcera de transmettre, d’imposer à l’esprit des enfants ou des jeunes gens telle ou telle formule, telle ou telle doctrine précise.

L’éducateur qui prétendrait ainsi façonner celui qu’il élève, ne ferait de lui qu’un esprit serf. Et le jour où les socialistes pourraient fonder des écoles, je considère que le devoir de l’instituteur serait, si je puis ainsi dire, de ne pas prononcer devant les enfants le mot même de socialisme.

S’il est socialiste, s’il l’est vraiment, c’est que la liberté de sa pensée appliquée à une information exacte et étendue l’a conduit au socialisme. Et les seuls chemins par où il y puisse conduire des enfants ou des jeunes gens, ce serait de leur apprendre la même liberté de réflexion et de leur soumettre la même information étendue.

Messieurs, il en est de même d’une nation et il serait puéril à un grand peuple d’essayer d’inculquer, aux esprits, à l’esprit de l’enfance, selon l’ombre fuyante des événements ou les vicissitudes d’un gouvernement d’un jour, telle ou telle formule passagère. Mais, il reste vrai que l’éducateur, quand il enseigne, communique nécessairement à ceux qui l’écoutent, non pas telle ou telle formule particulière et passagère, mais les principes essentiels de sa liberté et de sa vie.

Eh bien ! messieurs, il en est des nations comme des individus et lorsqu’une nation moderne fonde des écoles populaires, elle n’y peut enseigner que les principes mêmes selon lesquels les grandes sociétés modernes sont constituées. Or, sur quels principes, depuis la Révolution surtout, reposent les sociétés politiques modernes, sur quels principes repose particulièrement la France, dont ce fut le péril,on l’a dit souvent, mais dont c’est la grandeur d’avoir par son esprit logique et intrépide poussé jusqu’aux conséquences extrêmes l’idée même de la Révolution ? L’idée, le principe de vie qui est dans les sociétés modernes, qui se manifeste dans toutes leurs institutions, c’est l’acte de foi dans l’efficacité morale et sociale de la raison, dans la valeur de la personne humaine raisonnable et éducable.

[…]

L’exercice de la souveraineté, l’exercice de la puissance politique dans les nations modernes n’est subordonné à aucune formule dogmatique de l’ordre religieux ou métaphysique. Il suffit qu’il y ait des citoyens, il suffit qu’il y ait des êtres majeurs ayant leur liberté, leur personnalité et désireux de mettre en oeuvre ce droit pour que la nation moderne dise : Voilà la source unique et profonde de la souveraineté.

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Sur l’enseignement, voir aussi : ce texte de 1892 : Instruction, morale et laïcité… et ce texte de 1894 : Université et politique 

 

Livre Rappoport sur Jaurès

Petit commentaire de Charles Rappoport (in Jean Jaurès : l’homme, le penseur, le socialiste. 1915) :

« L’enseignement n’est qu’une manifestation, qu’une fonction de notre être, c’est-à-dire de la nature, du caractère de la nation historiquement et socialement déterminé. La nation s’enseigne elle-même. Elle donne à ses enfants l’éducation qu’elle peut donner après avoir atteint un degré de civilisation donné. Une nation d’esclaves éduquera ses enfants dans l’esprit de soumission aveugle et d’avilissement. Une nation d’hommes libres éduquera des hommes conscients et libres. Une nation monarchique formera des sujets. Une nation vraiment républicaine éduquera des citoyens. Une nation soumise au joug capitaliste divisée contre elle-même en classes, reflétera inévitablement, dans son enseignement, les mêmes divisions, les mêmes déchirements, avec ses passions et ses luttes de classe… »

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2 réponses à L'éducation, un acte de foi en l'autonomie et en la raison (1910)

  1. GEOFFROY dit :

    1910. Quelle actualité en 2015 !

  2. Anne dit :

    Si seulement ce discours était une volonté politique ! Nous transformerions enfin grâce à l’école des enfants en adultes responsables !!!!

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