L'impôt sur le revenu : pourquoi ? pour qui ? (1913)

Jaurès n’a cessé de se battre pour l’instauration de l’impôt sur le revenu. Dès 1894, à la Chambre, il en synthétise l’un des principes : « L’impôt progressif vient corriger la progression automatique et terrible de la puissance croissante des grands capitaux. »

La loi instaurant l’impôt sur le revenu ne sera votée que vingt ans plus tard.
Et à quel prix ! : les socialistes ne l’ont obtenu qu’en s’appuyant sur la nécessité nouvelle de financer l’augmentation de la durée du service militaire votée en 1913… malgré leur opposition (cf. cette page). Ce n’est pas la justice sociale, mais la menace de guerre, qui convainquit une partie des opposants à la loi.

Une partie seulement : la plupart des journaux de l’époque menaient campagne contre l’impôt et ses partisans, accusés de vouloir « ramener l’humanité à l’état de sauvagerie » en s’en prenant au luxe, aux  riches, etc.

En octobre 1913, lors d’un congrès à Limoges, Jaurès revient sur ce décalage entre l’impôt tel qu’il sera voté par les radicaux et l’impôt tel qu’il doit devenir pour les socialistes   :   

Oui, nous voterons tous énergiquement, passionnément pour instituer l’impôt général et progressif sur le revenu, sur le capitalisme et sur la plus-value avec déclaration contrôlée.
Nous le voterons parce que, quelle que soit la répercussion possible, et il en est toujours, les impôts ainsi établis sur le grand revenu et le grand capital sont moins fatalement répartis et pèsent moins brutalement sur la masse que les impôts directs qui atteignent directement le consommateur ou le paysan sur sa terre et sur son sillon.

Nous le voterons donc et nous le voterons aussi parce qu’il serait scandaleux, je dirais parce qu’il serait humiliant et flétrissant pour la France qu’à l’heure des crises nationales, quand on allègue le péril de la patrie, la bourgeoisie française refuse les sacrifices qu’a consentis la bourgeoisie d’Angleterre et la bourgeoisie d’Allemagne.

Oui, Messieurs les bourgeois de France, qui avez voté la loi de trois ans qu’on avait réclamée, nous vous faisons l’honneur de penser que votre patriotisme est à la mesure du patriotisme des bourgeois anglais et des bourgeois allemands.

Eh ! bien, nous voterons, l’impôt sur le revenu, mais il faut qu’il soit bien entendu que ce n’est pas ainsi que nous l’avions conçu, que ce n’est pas à cette fin que nous l’avions destiné.

Nous voulions qu’avant tout, l’impôt progressif et global servît à dégrever les petits paysans, les petits patentés, de la charge trop lourde qui pèse sur leurs épaules et nous voulions que ces ressources largement réalisées servent aussi à doter vraiment et substantiellement les grandes œuvres de solidarité sociale, faisant de la simili-assurance contre la vieillesse une réelle assurance sociale contre l’invalidité, contre la maladie, contre le chômage, développant les entreprises de logements sains et à bon marché pour arracher les travailleurs à la misère des taudis.

Voilà à quoi nous destinions le produit de ces grands impôts sur la fortune, sur le revenu et sur le capital. Par là, nous ne servions pas seulement la masse des salariés, des travailleurs, mais aussi la production nationale elle-même, car à mesure que la masse gagnera en bien-être, la force de consommation s’accroîtra et, par suite, le débouché intérieur le plus vaste, le plus profond et le plus sûr sera ouvert à la production elle-même.

Affiche de la campagne électorale du Parti Radical Socialiste, en 1929...

Affiche de la campagne électorale du Parti Radical Socialiste, en 1929…

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