Document rare, le Manifeste de la Conférence internationale des femmes socialistes, réunies à Berne en mars 1915, fut diffusé en France par Louise Saumoneau.
Texte ci-dessous puis fichier au format pdf reproduisant le manifeste en son format d’origine :
FEMMES DU PROLÉTARIAT
Où sont vos maris ?
Où sont vos fils ?
Ils ont été arrachés à leur travail et, depuis huit mois, ils sont sur les champs de bataille.
Des jeunes gens, appuis et espoir de leurs parents, des hommes, jeunes ou à cheveux gris, qui nourrissaient leur famille, tous, ont endossé l’uniforme, vivent dans les tranchées et sont condamnés à détruire ce qu’un travail diligent avait érigé.
Des villes et des villages incendiés, des ponts détruits, des forêts anéanties, des champs dévastés : voilà les traces de leur activité.
Des millions d’hommes reposent déjà dans les fosses communes, des centaines et des centaines de milles, sont dans les hôpitaux, le corps déchiqueté, les membres mutilés, les yeux privés de lumière, le cerveau étiolé ou éteint, frappés par les épidémies ou tombés d’épuisement.
Femmes du Prolétariat !
On a dit que vos maris, vos fils, sont allés sur le champ de bataille pour vous protéger, vous autres, « faibles femmes », pour protéger vos enfants, vos maisons, vos foyers. Et quelle est la réalité ?
La réalité, c’est qu’un double fardeau pèse sur les épaules des « faibles femmes ». Vous êtes livrées au chagrin et à la misère, vos enfants souffrent la faim et le froid, votre foyer est vide et morne.
On a parlé de la fraternité entre riches et pauvres, de la trêve des partis et des classes . Or, cette fraternité, cette trêve, se manifestent par des diminutions de salaires, que vos exploiteurs vous imposent, par l’élévation du coût de la vie, du fait de spéculateurs avides. L’Etat vous mesure parcimonieusement son aide, la philanthropie bourgeoise vous offre des soupes humiliantes et vous invite à l’épargne.
Quel est le but de cette guerre, cause de tant de souffrances ?
On vous dit : « Il y va de la défense de la Patrie et du bien-être qu’elle procure à ses enfants. » Qu’est-ce que cela veut bien dire ?
Serait-il question du bien-être des millions et des millions d’êtres humains dont la guerre a fait des cadavres des invalides, des chômeurs, des mendiants, des veuves et des orphelins ?
Qui menace la Patrie ? Est-ce que ce sont ceux qui, de l’autre côté de la frontière, vêtus d’un autre uniforme, et qui pas plus que vous , n’ont voulu la guerre, pas plus que vous ne savent pourquoi ils doivent tuer leurs frères ?
Non. La patrie est menacée par ceux qui sont riches et puissants de la misère des masses ouvrières qu’ils oppriment.
A qui cette guerre profite-t-elle ?
A une petite minorité dans chaque nation.
Aux fabricants de fusils et de canons, aux constructeurs de navires de guerre, aux fournisseurs de l’armée. Ils ont, pour leurs profits semé la haine entre les peuples et contribué à faire déclarer la guerre. La guerre est utile aux capitalistes en général. Le travail de la classe exploitée accumule des quantités de marchandi ses que les masses, trop pauvres, ne peuvent pas consommer. Pour que ces marchandises puissent s’ecouler, il faut, qu’après les avoir créées par son travail, l’ouvrier donne son sang pour leur ouvrir de nouveaux marchés extérieurs. Des colonies doivent être conquises pour que les capitalistes volent les richesses et les terrains et exploitent une nouvelle main-d’oeuvre.
Le but de cette guerre est donc, non la défense de la Patrie, mais son agrandissement. Ainsi le veut le système capitaliste qui ne peut subsister que par l’exploitation de l’homme par l’homme.
Les ouvriers n’ont rien à gagner dans cette guerre, ils ont tout à perdre, tout, tout ce qui leur est cher.
Femmes de la classe ouvrière !
Les hommes des pays belligérants doivent se taire, la guerre a troublé leur conscience, paralysé leur volonté, mutilé tout leur être.
Mais vous autres femmes, vous avez à supporter soucis et peines pour ceux que vous aimez, qui sont sur les champs de bataille, et la misère à la maison.
Qu’attendez-vous donc encore pour manifester votre volonté de paix et protester contre la guerre ?
Qui peut vous retenir ?… Qui peut vous effrayer ?…
Jusque-là vous avez souffert pour ceux qui vous sont chers, maintenant il faut agir : pour vos maris, pour vos fils !…
ASSEZ DE MEURTRES !
Ce cri retentit dans toutes les langues. Des millions de femmes prolétaires le lancent. Il trouve un écho dans les tranchées où la conscience des fils du peuple se révolte contre l’assassinat.
Femmes de la classe ouvrière !
A cette époque terrible, des femmes socialistes d’ Allemagne, d’Angleterre, de France et de Russie, se sont réunies. Votre misère, vos souffrances ont
pénétré leurs coeurs, elles vous appellent à la lutte pour la Paix , pour votre avenir et celui de vos enfants. Et, de même qu’au-dessus des champs de
bataille leurs volontés se sont unies, de même vous devez vous unir pour crier toutes ensemble : LA PAIX ! LA PAIX !
La guerre mondiale vous a imposé les plus grands sacrifices. Elle vous a enlevé les fils que vous aviez mis au monde dans la souffrance et la douleur, que vous aviez élevés au milieu des soucis et des peines. Elle vous enlève vos maris, vos compagnons de lutte dans la vie. Tout autre sacrifice est petit et insignifiant en comparaison de ceux-là.
L’Humanité tout entière fixe son regard sur vous, femmes du prolétariat des pays belligérants. Devenez les héroïnes, les sauveurs !
Unissez-vous ! que votre volonté soit une ! que votre action soit une ! Ce que vos maris et vos fils ne peuvent exprimer, c’est à vous de le dire, de le redire et de le redire encore :
Les travailleurs de tous les pays sont frères. Ce n’est que leur volonté unie qui peut mettre fin à l’assassinat des peuples.
Seul le Socialisme est la paix future de l’Humanité.
A bas le capitalisme, qui sacrifie des hécatombes d’êtres humains à la richesse et au pouvoir des classes possédantes !
A bas la guerre ! par et pour le socialisme !
Berne, mars 1915.
La CONFERENCE INTERNATIONALE DES FEMMES SOCIALISTES, à laquelle ont participé des camarades de : Allemaqne, Angleterre, Poloqne, Hollande, France, Russie, Italie, Suisse.
Manifeste en pdf :