Instituteurs, Marie et François Mayoux furent, comme Hélène Brion, révoqués puis emprisonnés, en 1917-1918, pour propagande pacifiste…
Ils écrivirent alors un petit ouvrage, intitulé « Notre Affaire ». Les premières pages, ci-dessous, témoignent d’abord de l’attitude de très nombreux pacifistes (semblables en cela à quasiment tous les citoyens français) au tout début du conflit : sidération, puis certitude que la guerre allait être rapide…
Elles témoignent ensuite du combat des pacifistes et de ce qu’étaient ces expressions pacifistes que les gouvernements bellicistes d’alors considéraient comme si criminelles qu’elles légitimaient d’envoyer leurs auteurs en prison !
1. Août 1914.
Des amis nous ayant demandé d’écrire une petite brochure pour exposer notre cas, nous avons accepté avec empressement. Nous avons pensé que dénoncer, une fois de plus, la politique réactionnaire et brutalement jusqu’auboutiste du gouvernement, c’était défendre utilement la liberté d’opinion et travailler encore à la seule oeuvre urgente à réaliser : la paix.
Au mois d’août 1914 nous avons été, comme tout le monde, abasourdis par la catastrophe.
L’horizon diplomatique s’était, tant de fois, alternativement obscurci et éclairci que nous nous disions : ça s’arrangera. Nous le voulions tant que «ça s’arrange» ;
«Ils» n’oseront pas, pensions-nous.
– «Ils» ont osé !
Hélas ! Les forces mauvaises, toutes puissantes, ont eu libre carrière.
Que dire ? Que faire ?
Le fléau était déchaîné. Au moins restait-il un espoir : ce sera terrible, atroce, fantastique, formidable, fou, mais ce sera court. Cette pensée possédait chacun, à tel point que personne ne la discutait ; moralement et matériellement le contraire semblait impossible. D’ailleurs les événements allaient, sans doute, se précipiter. N’était-il pas entendu que la Révolution devait sortir fatalement et rapidement de la guerre ? Un camarade, un ami, nous écrivait : je pars, je vais observer, voir, veiller au grain…
Nous avons donc attendu. Attendu quoi ? – La paix. La paix encore dans les brumes lointaines de l’avenir – six ou sept mois, un an en mettant les choses au pire – nous apparaissait déjà comme le seul but à atteindre. Le bien ne pouvant sortir du mal, nous n’avons jamais espéré de la guerre que ruines, deuils, crimes et misères. La paix seule est féconde, la paix seule crée une atmosphère favorable au bonheur et au libre développement des peuples. Les gouvernements, tous, le sentent si bien qu’ils revendiquent en choeur la propriété exclusive de cet idéal. Nous nous sommes battus, nous nous battons et nous nous battrons jusqu’au bout, disent-ils, pour qu’il n’y ait plus de guerres, jamais. Alors ? Pourquoi ne pas ouvrir immédiatement l’ère bienheureuse des temps sans hécatombes.
– C’est la faute de l’Allemagne, dit-on d’un côté.
– C’est la faute de l’Angleterre, répond-on de l’autre.
II. Contre la haine.
Nous avons attendu la paix en silence, seule attitude possible, devant la formidable avance allemande, vite arrêtée il est vrai, et devant la croyance générale à une guerre courte. Puisque la tuerie ne pouvait être prolongée au delà de quelques mois, toute pression politique devenait inefficace et ne pouvait en abréger la durée. Les événements se sont chargés de nous montrer notre erreur.
Nous n’avons pas parlé, à ce moment-là, mais nous n’avons pas livré notre âme à la guerre et à la haine.
Dès octobre 1914, pour répondre aux étranges arguments d’un collègue qui voulait, à toute force, mettre dans le même sac les dirigeants et les dirigés allemands, nous écrivîmes un article pour l’Ecole Emancipée. Cet article ne put paraître, mais la copie, saisie en juillet 1917, a servi à l’avocat général près la Cour d’Appel de Bordeaux pour appuyer son accusation. Et qu’a-t-il trouvé dans ces quelques lignes écrit es au début de l’horrible cauchernar ? Ceci : il faut développer la haine de la guerre et non la haine du peuple allemand, victime comme nous, mais non complice de ses maîtres. N’ayant pas le texte sous les yeux, nous ne donnons pas les termes mêmes, mais c’est le sens.
Un peu plus tard, La Bataille Syndicaliste ayant publié des poésies de Vigné d’Octon, qui nous avaient paru de nature à exciter la haine entre peuples, nous adressâmes une lettre au journal pour protester contre une telle façon de faire, et citer la prophétie de M. Justin Godard, qu’on trouvera plus loin. Le 21 février 1915, La Bataille Syndicaliste publiait nos quelques lignes accompagnées d’une longue réponse de l’intéressé.
L’auteur de La Gloire du Sabre se défendait de pousser à la haine et revendiquait le droit d’écrire La Gloire du Sabre allemand, le plus et, pour ainsi dire le seul dangereux depuis août 1914.
« Nous ne voulons pas nier les atrocités allemandes, écrivions-nous, mais encore faudrait-il n’accepter pour exactes que celles dont la preuve est bien faite… Vigné d’Octon ne sait-il pas mieux que personne ce dont est capable toute armée en campagne ?
« La conclusion ? C’est la suppression de la guerre, et c’est à la suppression de la guerre qu’il faut encourager les peuples, et non les pousser à la haine stupide entre nationalités voisine. »
III. Première action pour la paix.
Au printemps de 1915, dans le même temps que la Fédération socialiste de la Haute-Vienne lançait sa circulaire où elle était amenée «à souhaiter dans l’intérêt du socialisme, de la classe ouvrière et de notre Patrie, la fin de la guerre», nous parvenions, guidés par les mêmes sentiments, à créer un courant pacifiste chez les instituteurs syndiqués. En juin, une conférence, dont nous avions pris l’initiative, réunissait à Tours une vingtaine de militants de notre Fédération.
Le Manifeste des Instituteurs syndicalistes, portant la date du 1er juillet 1915, recueillit dès l’abord des signatures individuelles ou collectives dans les départements suivants: Charente, Bouches-du-Rhône, Cher, Vienne, Rhône, Sarthe, Dordogne, Saône-et-Loire, Lot-et-Garonne, Seine, Basses-Alpes, Isère, Tarn. Il y était dit que : «nos sympathies acquises à toutes les victimes de l’innommable tuerie, allaient d’abord et tout dr oit à l’héroïque Belgique, anotre France meurtrie». La conclusion était celle-ci : « Nous demandons donc au gouvernement de proposer un armistice à tous les belligérants et d’autoriser la discussion des bases sur lesquelles la paix pourrait être réalisée. Nous estimons que ces bases doivent être les suivantes :
1. Liberté pour les peuples de disposer d’eux-mêmes ;
2. Désarmement général par l’arbitrage obligatoire.
« En réclamant pour le peuple qui Iutte si unanimement et si héroïquement ce droit de discussion, nous restons dans notre saine tradition républicaine et révolutionnaire. »
Nous savions bien que le gouvernement voyait d’un mauvais oeil la propagande pacifiste, mais nous étions néanmoins décidés à l’entreprendre, la comprenant comme un devoir. Malheureusement notre geste fut à peu près ignoré ; les deux mille cinq cent exemplaires du Manifeste, destinés surtout à recueillir des signataires, ne purent être expédiés. Les journaux qui auraient dû nous appuyer se dérobèrent: l’Humanité, La Bataille Syndicaliste, la Guerre Sociale refusèrent carrément de tenter la publication. A cette époque nous ne les savions pas encore définitivement acquis à la politique gouvernementale. Depuis…